Emmanuel Oger parcourt l’Amérique du Sud, allant à la rencontre des communautés premières. Cette démarche le guide en Colombie, dans la civilisation Kogis de la Sierra Nevada où il accompagne différents chamans et l’anthropologue colombien, Gentil Cruz de l’ONG Tchendukua.
Pour approfondir sa connaissance, il participe à plusieurs rassemblements rituels au Chili pour le nouvel an Mapuche célébré par la Machi, ainsi qu’à la fête de la lance des Kichwa à Sarayacu en Equateur. Lors de l’une des remontées du fleuve Amazone, il rencontre Silvio Cavuscens, fondateur de Secoya qui travaille avec les Yanomami depuis 25 ans.
Pour cette exposition, la démarche première d’Emmanuel a été de rentrer en immersion à plusieurs reprises dans les villages traditionnels Yanomami. Pendant ces quatre années de voyage entre la France et les territoires indiens, il prend le temps d’observer et de sentir le mode de vie de cette civilisation ancestrale.
Ensuite, dans une esthétique poétique il vient représenter la vie de la communauté. Du rythme du brassage du manioc, aux enfants jouant sous la pluie tropicale, le partage du quotidien dépeint l’harmonie qu’il a rencontrée dans les villages.
Le premier cercle
L’ensemble du mode de vie Yanomami est en lien avec le premier cercle : le Xapono. Cet habitat circulaire protège les familles qui y résident. Dans leur cosmologie, il représente également la
voûte du ciel. La partie du ciel où est née la terre, Utukara. Cet espace est le lieu de tous les échanges pour la communauté, de la joute verbale à l’intimité des hamacs, du naturel au
surnaturel, du rituel et à la vie quotidienne. Le tout est orchestré par le rythme de la nature.
Le Chamanisme
Dans le monde Yanomami le chamanisme est omniprésent, il fait partie de la vie du Xapono où le naturel et le surnaturel s’entremêlent quotidiennement. Les chamans appelés Hekura, sont des
personnalités essentielles du monde Yanomami. Ils représentent l’ordre spirituel et les Tushawa (leader des villages) représentent l’ordre social et politique de la communauté. Les grands chamans
protègent au lever du jour les familles du Xapono, des esprits maléfiques dans une danse guerrière et un chant vibratoire. La prise de la Parika, puissant psychotrope leur permettent d’entrer en
relation avec le monde surnaturel des Xapiri (esprits). La beauté de ces maquillages et de ces parures de plume, les invitent à descendre en lui pour éloigner les fumées d’épidémies. Les esprits
sont très sensibles à la beauté. Ils ne s’incarnent que dans un Hekura dont ils reconnaissent la beauté. Hekura est le nom donné au chaman, mais aussi à l’esprit qu’il incarne ; le même nom est
donné au rituel de curation ou de protection que le chaman pratique. On ne dissocie pas ces trois notions regroupées dans le nom : Hekura. Du lever du jour au coucher du soleil, les Hekura se
relaient sur la place du Xapono. Cette protection chamanique permettra également que le ciel ne tombe pas une nouvelle fois sur les Yanomami, tuant l’ensemble de ces membres. Les sortilèges sont
omniprésents dans le monde Yanomami. L’apprentissage du chamanisme est d’une grande violence. Pour devenir Hekura, les hommes ont dû passer par la prise massive de Parika travaillant à faire «
mourir ses yeux » et à « disloquer son corps » lui donnant accès au monde surnaturel des esprits. Les Xapiri ont ouvert sa poitrine dans laquelle ils ont installé leur nouvelle demeure.
Les hommes d’influences
Cette civilisation repose aujourd’hui encore sur une tradition orale ancestrale. A la lumière du jour, lors de la réunion de Xapono, un homme d’influence se lève pour parler et s’exposer à
l’ensemble des familles. Son influence passera par la force de sa voix et le bon sens de ses propos. Il s’engage personnellement au travers de sa parole tenue, il ne sera en aucun cas coupé par
le village. Cette réunion peut durer plusieurs jours. Ensuite, des joutes verbales s’organisent dans l’anonymat de la nuit. C’est l’occasion de confronter les points de vue sur cette
problématique pour la communauté. Les autres hommes d’influence, se déplacent comme des ombres sur la place centrale du Xapono, seule leur voix les identifie. Dans la lumière des feux nocturnes,
ces instants sont pour les femmes, le moment d’entrer en influence de leur mari, qui est le porte-parole du foyer. Au matin, un journal oral est énoncé par un homme influant devant sa maison. La
prise de parole est très codifiée, elle appartient à un espace et une lumière particulière qui viennent colorer les propos, la vibration et la force de la voix. Cette organisation sociale de
l’oralité est basée sur l’influence. Il n’y a pas de leader unique dans les villages : cela oblige à une recherche d’un consensus du bien-vivre ensemble.
Chacun reste libre de ses propos comme de ses actes, ce qui est rare dans une communauté indienne souvent contrainte par les principes du clan. Chez les Yanomami, la liberté prime, reste à
construire ensemble le bien être de chacun.
Présentation du peuple Yanomami
Les premiers contacts avec ce peuple indigène ont été établis en 1955. C’est aussi à cette date que leurs ennuis commencent : missionnaires, orpailleurs, maladies occidentales ravagent la
communauté qui vivait jusqu’à ce jour en paix. Une population d’environ 35.000 personnes est répandue sur une superficie totale de 192.000 km² entre le sud du Venezuela et le nord du Brésil.
C‘est un peuple qui vit de chasse, de pêche et de cueillette de fruits sylvestres, peuple à la base nomade. Ils sont forcés à la sédentarisation à la suite d’une redistribution du territoire par
le gouvernement brésilien en 1988. De ce fait, ils doivent changer leur mode de vie, ainsi que leurs besoins et la répartition des tâches entre les hommes et femmes de la communauté. Ceci
entraîne un grand bouleversement dans leurs existences et leurs conceptions de la vie.
La loi indigène au Brésil
La fin des années 60 marque la prise en compte des peuples de l’Amazone par le Brésil, avec la création de la FUNAI (Fondation Nationale de l’Indien). C’est l’organisme gouvernemental brésilien
qui élabore et applique les politiques relatives aux peuples indigènes. En 1973, la loi relative au statut de l’indien définit les droits des peuples indigènes sur leurs territoires avec
notamment l’article 18 ; les terres indigènes ne pourront pas faire l’objet de baux ni d’affaire juridique qui restreignent le complet exercice par la communauté indienne. Sauf au nom de la
raison nationale. Il faut tout de même noter que le Brésil refuse de s’aligner sur les législations internationales qui préconisent que les peuples indigènes soient les véritables
«propriétaires» de leurs terres ancestrales. Ici, ils n’en ont que l’usufruit. La démarcation des terres indigènes sur décret présidentiel en accord avec la FUNAI, qui débuta en 1988 est
aujourd’hui gelée par les parlementaires. La loi PEC215 propose que la démarcation des terres se fasse non plus par décret présidentiel, mais qu’elle se négocie directement au sein du parlement,
dont la plupart de ses membres ont leur campagne financée par des lobbyings de l’agroalimentaire aux intérêts économiques centrés sur l’Amazone. Bien que les terres des communautés du Rio Marauià
fussent démarquées il y a quelques années, l’amendement 45 (rajouté à la loi début 2015) présente une grande menace pour les Yanomami. Il propose de donner un siège à un représentant indigène à
la Chambre des Députés qui en compte 513. En échange, les parlementaires pourraient « au nom de la raison nationale » imposer la construction de routes, de lignes à haute tension, de ports et
voies fluviales ainsi que l’extraction des ressources souterraines, sans aucune consultation des peuples concernés. C’est face à cette menace que les Yanomami du Marauià ont décidé de se
rassembler dans une association, la Kurikama, afin de se faire entendre, conserver leurs droits et surtout leur mode vie.